Le calcul médieval aux jetons

La méthode exclusive pour les marchands

Additionner, soustraire, multiplier et diviser est une activité quotidienne pour les marchands et leurs comptables. Elle se prolonge avec des méthodes pratiquement inchangées sur plusieurs siècles depuis les Mésopotamiens jusqu'à l'occident chrétien en passant par les Grecs et les Romains.

Nous allons additionner des montants en livres, sous et deniers avec des jetons sur une table de compte. Regardez, et quelques explications suivront.

L'exemple pris dans cette vidéo est issu de Calculer avec des jetons d'Alain Scharlig, et la table de compte est au musée du château de Thoune en Suisse.

La table comporte une ligne pour les livres et, au dessus de cette unité, une ligne pour 5, 10, 50, 100, 500 et 1000 livres, donc transposable facilement avec les chiffres romains.

En dessous de la ligne des livres, on a les subdivisions pour les sous (en Suisse, ce sont des shillings) et, comme il faut 20 sous pour faire une livre, on a également une ligne pour 5 sous et une autre pour 10 sous.

Et en dessous des sous, on a les deniers. Comme il faut 12 deniers pour faire un sou, on sort du système décimal, et on a une ligne pour 6 deniers, c'est à dire la moitié d'un sou.

L'addition à faire est la suivante :

		  788 livres 17 sous 11 deniers
		+  77 livres 12 sous  9 deniers
		+  68 livres 14 sous 10 deniers
		---------------------------------
		= 935 livres  5 sous  6 deniers
	

Prenons la somme des deniers, soit 30. Cela correspond à 2 sous et 6 deniers puisqu'il faut 12 deniers pour faire un sou. Ensuite nous avons 45 sous, ce qui correspond à 2 livres et 5 sous, puisqu'il faut 20 sous pour faire une livre. Et enfin l'addition des livres, l'unité principale, donne 935 en n'oubliant pas les 2 livres issues de la retenue.

Ainsi, grâce à ces abaques à lignes, on pouvait calculer avec ces subdivisions complexes qui ont pullulé jusqu'à la Révolution Française et l'adoption progressive du système décimal pour toutes les unités (monnaies, poids, volumes, longueurs, surfaces, ...)

Les méthodes ont très lentement évolué à partir du Xème siècle avec l'instillation progressive de la numération arabo-indienne. Les ouvrages de Gerbert d'Aurillac autour de l'an 1000, Leonard de Pise en 1202 et Luca Pacioli en 1494 sont des étapes sur ce long chemin de l'adoption du "calcul indien" décrit par Al Khwarizmi à Bagdad en 830. L'adoption du calcul à la plume n'est achevée, d'après Georges Ifrah, qu'à la fin du 18 ème siècle avec la Révolution Française et l'interdiction de l'enseignement du calcul avec les jetons.

Ceci ne veut pas dire que d'autres méthodes que les jetons n'aient pas été employées simultanément par les mathématiciens ou les astronomes, comme on peut le supputer à partir des catalogues d'étoile grecs et arabes. Les historiens des mathématiques distinguent l'arithmétique opérative, pour les marchands, de l'arithmétique spéculative, aux prémices de la théorie des nombres, dont un représentant célèbre est Boèce. Et, entre les deux, l'arithmétique à la plume utilisée d'abord pour les sciences puis s'élargissant peu à peu au monde des affaires.